Vous planifiez une soirée de jeu COIN. Supposons que vous recevrez trois amis, et serez le seul à connaître le jeu. Le seul, en fait, à connaître le système COIN.
Mais vous ne l’avez jamais enseigné.
Vous ne voulez pas rater votre coup. Vous vous dites qu’il est de votre devoir de vous assurer que tous aient du plaisir et apprennent bien le jeu. En plus, si votre groupe aime ce jeu, ça augmentera vos chances d’y jouer plus souvent, non?
Enseigner n’importe quel jeu à trois personnes à la fois peut être difficile. Les jeux COIN ne sont pas plus difficiles que bien d’autres jeux. Par contre, ils sont moins abordables, ils offrent moins de prise. Et vous ne savez pas par où commencer.
Rassurez-vous, vous ne pouvez faire qu’une seule erreur: ne pas vous préparer. Et le fait que vous lisez ceci indique que c’est une erreur que vous avez décidé d’éviter.
Soyez prêt
Être prêt ne signifie pas seulement avoir joué au jeu au moins quelques fois, avec toutes les factions y compris les non-joueurs. Ça signifie aussi prendre d’avance le plus grand nombre possible de décisions – il y en a plus qu’il n’y paraît – pour que votre tâche soit, le soir venu, la plus légère possible.
Choisissez le bon format
Quelques questions vous permettront de vous assurer que tous s’entendent sur le format de la séance. De combien de temps disposerez-vous? Vos invités s’attendent-ils à compléter une vraie partie, ou à faire d’abord quelques tours d’initiation (par exemple, comme le suggère Volko Ruhnke, une simple campagne sans événements ni activités spéciales)? Préfèrent-ils une partie ouverte, où vous expliquez au fur et à mesure, ou vous demanderont-ils plutôt de ne leur présenter que la base, pour les laisser jouer seuls par la suite? Les parties ouvertes ont toujours bien fonctionné pour moi.
Choisissez le bon jeu
Tout dépend, bien entendu, des forces et des intérêts des joueurs. Mais généralement, comme je le mentionnais dans un article précédent, des 6 jeux COIN publiés jusqu’à maintenant, je crois que Cuba Libre, avec sa petite carte, son deck allégé, ses actions simples et ses objectifs clairs constitue la meilleure introduction possible au système COIN.
Choisissez le bon scénario
Cuba Libre n’offre pas de scénarios. Mais la partie courte (2.1 dans les règles) convient très bien à une première séance. En plus de laisser 8 cartes en surplus, que vous pourrez utiliser comme démonstration. Je n’ai jamais utilisé l’option de ne pas révéler la deuxième carte (2.2) avec des débutants; voir un peu d’avance n’a jamais causé de problème. Mais vous connaissez votre groupe, à vous de voir.
Choisissez les bonnes factions
Point crucial. Ici encore, Cuba Libre est idéal. Le Gouvernement est la faction qui diffère le plus des autres. Et comme vous êtes le joueur le plus expérimenté, il vous revient de jouer cette faction. Les débutants joueront les trois factions insurgées. Voici pourquoi:
- Le Gouvernement, avec ses propres règles et sa situation stratégique particulière, est plus difficile à jouer (cf. ce qui est arrivé en 1959!).
- En jouant le Gouvernement vous allégez les explications en évitant d’avoir à fournir trop de détails sur l’Aide, la piste US Alliance, etc.
- Les factions insurgées sont plus simples et régies par moins de règles.
- Comme leurs règles de base sont assez similaires, beaucoup de vos explications s’appliqueront à tous les joueurs à la fois.
- Comme elles partagent plusieurs mécaniques, les nouveaux joueurs gagneront à observer le jeu des autres; ils seront plus impliqués durant la partie.
- Toutefois vous prendrez soin, en jouant le Gouvernement, de toujours expliquer vos actions. Quoi, comment, pourquoi.
Il vous manque un joueur? Ma recommandation est que vous jouiez, en plus, une faction non-joueur, le Syndicate. Les règles sont toutes simples, et vous accapareront moins que de jouer deux factions régulières. Assurez-vous seulement de bien les connaître.
Il y a un autre avantage à choisir les factions d’avance: les joueurs peuvent ainsi se familiariser avec leur faction avant la rencontre. Ils peuvent au moins lire le bon petit résumé des rôles aux p. 14-15 du playbook (les notes de conception, p. 27-31, sont plus générales, mais aussi très intéressantes). Si vous ne craignez pas que ça les intimide, suggérez-leur de lire toutes les règles concernant leur faction.
Et puisqu’il est question de se mettre en appétit, pourquoi pas regarder un documentaire qu’on croirait fait sur mesure pour servir d’introduction à Cuba Libre: Cuba: The Forgotten Revolution (trouvable sur Netflix, au Canada du moins).
Faites la mise en place normale…
Toutes ces décisions vous permettent aussi de faire d’avance la mise en place complète du jeu. Essayer de présenter et d’expliquer ce genre de jeu à des débutants tout en triant et mélangeant les cartes, en comptant et distribuant les pièces, s’est avéré, dans mon cas, inutilement long, sujet à erreur, et dérangeant, tant pour moi que pour les autres joueurs. Votre objectif est plutôt que chaque joueur prenne d’emblée les commandes de ses pièces, de sa faction.
… mais aménagez la pige
Vous ne souhaitez surtout pas tomber dans une ronde de Propagande dès le départ, ou frapper deux Propagandes rapprochées. Pour vous assurer que les premières campagnes se déroulent normalement, et que vous contrôliez le rythme du jeu, apportez quelques aménagements à la pile de pige (ou la pioche).
Après avoir mélangé les cartes événements et les avoir divisées en 4 piles, je prends les 3 ou 4 cartes du dessous de chaque pile et les remélange avec la carte Propagande, avant de les empiler. Je m’assure de cette façon que les rondes de Propagande seront raisonnablement espacées, et que tous auront le temps d’assimiler une première campagne avant d’en arriver à la Propagande.
Bon. Assez de préliminaires. Vous voilà tous assis à la table, autour du jeu que vous avez soigneusement mis en place. C’est maintenant le temps du plat principal. Le temps de passer à l’action.
Soyez prompt
C’est ici qu’il vous faut travailler le plus fort. Dans le but de demeurer le plus léger possible. Vous n’aborderez que les règles de base, mais ça peut tout de même sembler beaucoup pour vos recrues. Dites-en le moins de mots possible, et dites-le le plus possible à leur façon.
Dans leurs mots
Présenter le jeu par des concepts et des moyens que votre groupe comprend déjà est une excellente façon de garder les choses simples et intéressantes. Prenez le temps de réfléchir aux caractéristiques de votre groupe, à ses habitudes de jeu. Identifiez la tribu à laquelle ces joueurs appartiennent.
Jeux européens (ou américains). Les habitués de ces types de jeux devraient n’avoir aucune difficulté à s’initier au système COIN (je ne recommande pas d’initier 3 joueurs occasionnels ou amateurs de jeux légers directement au système COIN). Vous pouvez tout de même leur faciliter les choses en adaptant vos termes et vos exemples. Le système COIN a ses racines dans les jeux de type euro. C’est donc assez facile d’utiliser un langage et des concepts qui leurs seront familiers.
Jeux de guerre. Dans ce cas, vos chances sont bonnes d’être en présence de joueurs déjà familiers avec les jeux pilotés par des cartes (Card Driven Games, CDGs). Et vous pourrez facilement tabler sur ces notions. Les mécaniques entourant les cartes événements des jeux COIN sont une version simplifiée des CDGs traditionnels. Pas de points d’opérations, pas de main à gérer. Vous pourrez aussi vraisemblablement émailler vos explications de termes et d’événements historiques et militaires, avec lesquels ce type de joueur sera plus familier. Je n’ai jamais initié de vrais grognards*, amateurs de jeux de guerre traditionnels (hex & counter), aux jeux COIN. Si vous avez eu ce type d’expérience, partagez-le moi, ça m’intéresse!
Soyez sélectif
Le système COIN, en soi, est simple. Une fois qu’on l’a compris, les nombreuses informations complémentaires tombent en place d’elles-mêmes, sans trop d’effort. Il est simple, mais pas toujours évident. Les recrues tendent à se retrouver inondées de détails et de renseignements superflus avant de saisir la base. En tant qu’initiateur, votre rôle est de les protéger contre ces distractions, et de les mener aussi vite que possible à une bonne vue d’ensemble des principes généraux, qui leur permettra de se faire une idée du reste par elles-mêmes.
Un exemple rapide. Avez-vous vraiment envie de réciter toutes les préconditions, les étapes de la procédure et les retombées d’une opération de Ralliement (Rally)? Chose sûre, aucun de vos auditeurs n’aura envie de subir ça. Ce serait trop abstrait, interminable, et immédiatement enterré par la suite des explications. Je me contente de mentionner que le Ralliement est leur façon d’ajouter des pièces, et je passe à autre chose (Marcher, leur façon de déplacer leurs pièces; Attaquer, comment ils éliminent les pièces ennemies, etc.). Par la suite, durant la partie, quand ils veulent ajouter des pièces, je les aide à exécuter les étapes de l’opération qui s’appliquent à la situation en cours. Rien de plus. Je constate que, de cette façon, les nouveaux joueurs apprennent très vite à jouer par eux-mêmes.
Cela dit, si vous avez bien fait les choses jusqu’ici, tout devrait se dérouler sans difficulté. Voici, en terminant, les grandes lignes de la présentation du système que j’ai utilisée avec des débutants. Voyez ce qui vous convient le mieux. Peu importe comment vous vous y prenez, ayez une direction claire et précise.
Le jeu. Son sujet. Comment il se déroule. Comment on y gagne. De toute évidence il existe une myriade de façons d’aborder tout ça. Je n’utilise d’habitude que quelques phrases générales, m’assurant au moins de mentionner qu’une partie se déroule sur plusieurs séries de cartes événements appelées «campagnes». Durant chacune de ces campagnes, les joueurs joueront normalement plusieurs tours. Ils peuvent gagner en ayant accumulé un certain nombre de points à la fin de n’importe quelle campagne. Ils gagnent des points par diverses actions faites sur la carte.
La carte. Provinces versus villes. Les types de terrain, qui limiteront certaines actions. Je passe rapidement sur les centres industriels pour le moment, ne mentionnant qu’ils sont des zones spéciales rapportant des points à certaines factions à chaque décompte des points. Je présente surtout la population et le contrôle des espaces comme une simple mécanique de majorité autorisant ou bloquant certaines actions, et permettant de gagner du soutien. L’importance des valeurs de soutien/opposition. Comment elles changent. Comment elles multiplient la valeur de la population. Comment elles procurent des points.
Les cartes. Leurs quatre usages principaux: cadencer le jeu, déterminer l’ordre des joueurs, offrir des actions ou «pouvoirs» additionnels, déclencher un décompte des points. J’utilise quelques cartes laissées hors-jeu pour montrer les icônes de l’ordre des factions et les deux versions des événements. Je présente l’événement comme une action spéciale unique que la faction active peut choisir en lieu et place de ses actions habituelles. Double usage des événements. Momentum et capacités: effets prolongés ou permanents.
Toutes les factions insurgées. Types de pièces, leur rôle et leur valeur. Clandestin versus actif, comme visible/invisible. Les feuillets d’aide de jeu, le menu d’actions. Les quatre actions principales (opérations): ajouter des pièces, déplacer des pièces, influencer la population (réduire le soutien, gagner de l’opposition), éliminer des pièces ennemies. Tous les détails remis à plus tard.
Chaque faction insurgée. Qui elle est. Ce qu’elle cherche. D’où part-elle et où va-t-elle sur la piste de pointage, et ce qui lui permet d’y déplacer son jeton. Ses propres objectifs de victoire (comment la faction gagne la partie). Ses propres objectifs de pointage (comment la faction peut gagner des ressources et éviter des pénalités durant la ronde de Propagande). Ses actions personnalisées, facultatives et généralement gratuites que sont les activités spéciales.
Le tour. Quand est-ce leur tour de jouer. Ce qu’ils font durant leur tour, et pourquoi. Les cartes révélées. L’ordre des joueurs. Le choix entre les actions et l’événement. La plupart des actions peuvent être exécutées plus d’une fois. Leur coût. Les activités spéciales associées.
La séquence de jeu. Maintenant que tous connaissent les événements et les types d’actions, je présente la séquence de jeu comme une simple mécanique de pose d’ouvriers. Deux factions par carte. Éligibilité. Premier, deuxième éligible. Comment indiquer les actions avec le pion. Comment et pourquoi passer. Actions limitées (LimOps).
La Propagande. Décompte des points. Survient à chaque 7-10 cartes. La partie peut se terminer à la première phase de cette ronde. Autrement, les joueurs gagnent des ressources, et peuvent devoir déplacer ou retirer des forces. Toutes les pièces redeviennent «invisibles», toutes les factions, éligibles. Encore ici, nul besoin d’examiner en détail chaque étape d’une ronde de Propagande. Il est beaucoup plus efficace de les décrire en les exécutant durant la partie.
La fin. Au début d’une ronde de Propagande, si au moins un joueur a atteint ses seuils de victoire, la partie se termine immédiatement et ce joueur l’emporte.
C’est loin d’être tout, mais c’est bien suffisant pour commencer. Le succès de toute soirée de jeu dépend nécessairement du groupe que vous initiez. Mais l’ingrédient-clé du succès d’une première partie COIN sera toujours votre niveau de préparation. Tentez le coup!
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