Eau, farine, beurre, lait, amidon, shortening, sucre, beurre de cacao, levure, gluten, gélatine, lécithine, caséine, protéine de lactosérum, glycérol, acide oléique, acide stéarique, acide ascorbique.
Ça vous met en appétit?
L’image que cette description vous laisse en tête ressemble-t-elle à cette délicieuse pâtisserie appelée mille-feuille? Ça devrait, pourtant: il s’agit de la liste des ingrédients.
Cette façon de décrire un mille-feuille nous laisse indifférents parce qu’elle ne s’adresse pas à nous, les consommateurs, les mangeurs de mille-feuilles. Elle n’utilise pas notre langage, ne considère pas notre point de vue, pas plus qu’elle ne répond ni même se soucie de nos attentes.
C’est ce qui explique que les mets ne sont pas décrits de cette façon dans les menus de restaurant.
Ce qu’il lui manque, pour faire le pont entre chimie et cuisine? Entre les ingrédients ou les procédures d’une recette et un plat?
L’expérience.
Il est facile, et malheureusement trop fréquent, pour les règles d’un jeu d’en arriver à ressembler à ça.
Récemment, je me préparais à une soirée de jeu en lisant la règle du jeu historique qui était au programme, et qui n’est pas dans ma collection. Ce jeu s’est avéré être un simple et amusant petit jeu de cartes. Et sa règle détaillée m’en avait absolument tout dit… sauf le fait qu’il s’agissait d’un simple et amusant petit jeu de cartes.
La lecture de cet amas de procédures, d’étapes intermédiaires, de sous-étapes éventuelles, de conditions et d’exceptions, toutes claires et précises mais sans la moindre vue d’ensemble, m’a laissé avec une seule certitude: que nous aurions affaire à un jeu presque injouable, d’une complexité assez invraisemblable.
À un point tel que j’ai mis un certain temps, une fois attablé devant le jeu, à me convaincre qu’il était d’une simplicité aussi totale.
Il est plus difficile de représenter l’expérience qui imprègne un jeu que celle que promet une pâtisserie. Montrer les composants du jeu, des éléments de son thème ou même ses joueurs ne suffit pas: cette responsabilité essentielle repose surtout sur la présentation de la règle. Mais voilà, les auteurs de la règle sont habités par cette vue d’ensemble depuis si longtemps, elle leur est devenue tellement habituelle qu’ils n’arrivent pas toujours à remarquer qu’ils ont négligé de l’inclure.
Le problème, si vous ne vous souciez pas de décrire suffisamment l’expérience au joueur, n’est pas qu’il devra jouer sans vue d’ensemble – c’est bien entendu impossible – mais bien qu’il s’en sera inévitablement fait une lui-même, sans même s’en rendre compte, à partir des éléments disponibles. Et cette vue d’ensemble risque fort d’évoquer votre jeu autant que la liste ci-dessus évoque un mille-feuille. Résultat? un mélange abrasif de frustration et de friction – un véritable plat de résistance.
La règle doit être à la fois recette et menu, puisque le joueur est à la fois cuisinier et convive.
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