
Une de nos règles maison est que les joueurs ne reprennent habituellement pas leurs coups. Je ne suis pas sûr que ça s’applique aux blogueurs, cependant.
C’est que je suis sur le point de changer d’avis à propos de ce que j’ai écrit récemment à propos de Cuba Libre. Disons que j’aimerais au moins faire une mise à jour.
Je pense toujours, comme la plupart, que sa carte plus petite, ses règles plus simples et son deck plus mince font de Cuba Libre une excellente introduction au système COIN. Mais je vois maintenant les choses un peu différemment.
Ce qui s’est passé? J’ai joué quelques parties de Liberty or Death, de Harold Buchanan.
Puis encore quelques autres.
J’étais intrigué: il s’agit d’un jeu plutôt long et complexe. Et pourtant j’y ai joué tout de suite avec aisance, sans sentir la moindre courbe d’apprentissage.
Le jeu n’est peut-être pas si complexe? Ses règles font tout de même 40 pages et autour de 25,000 mots. Sa durée moyenne est de 3 heures. Il vient avec plus de 100 cartes événements, 6 types d’unités et comporte un mécanisme de bataille complètement nouveau. Il est évalué un peu partout comme le deuxième plus lourd de la série COIN. À l’évidence, Liberty or Death est un jeu complexe.
Seulement, ça n’a jamais paru.
Pourquoi? Est-ce que je m’améliorerais aux jeux COIN au point de ne plus en remarquer la complexité? Si seulement. Mais je ne pouvais tout de même pas y jouer de travers à ce point non plus, non? Le sujet, alors? À part habiter la ville de Québec (en haut à droite de la carte magnifique conçue par Terry Leeds), et être familier avec quelques épisodes du conflit, je n’avais pas tant de connexions particulières avec la Révolution américaine quand j’ai commencé à apprendre le jeu (c’est mieux maintenant, grâce à Harold Buchanan et à John Ferling).
J’ai été encore plus étonné, en allant vérifier en ligne, de voir qu’un jeu aussi complexe était aussi bien reçu. Et par tous types de joueurs.
N’y avait donc pas que moi.
J’ai ensuite remarqué quelque chose. À chaque fois que je pensais à ce jeu, c’était aux personnages et aux événements que je pensais. Ceux que je connaissais déjà, comme Guy Carleton, Benedict Arnold ou la Bataille de Québec, et ceux au sujet desquels le jeu me renseignait, comme Danbury, Adam Smith, l’expédition Sullivan ou Langlade.
Et le déclic s’est fait.
Les apprentis veulent des récits
Une de mes caractéristiques préférées de la série COIN est sa diversité. Que chaque titre ait un (co-)concepteur différent garantit l’apport d’idées fraîches et nouvelles au système.
Ce que Liberty or Death apporte au système COIN est le récit. Et pas à peu près.
Récit?
Je ne parle pas, ici, d’aventures immersives à la Livres dont vous êtes le héros, Donjons & Dragons ou les récents jeux de type Legacy. Ni des cadres narratifs plus spéculatifs qui émergent des jeux COIN plus avancés.
Ce dont je parle serait plutôt entre les deux. De petits indices, de menus incitatifs disséminés dans tous les aspects du jeu. Des mécanismes fins, à peine visibles individuellement, mais qui se combinent pour accélérer et renforcer notre compréhension du jeu et de l’histoire qu’il relate. Sans même qu’on s’en aperçoive.
Parce que rien ne nous aide à assimiler un nouveau jeu et son sujet, à retenir tout un tas de règles et de faits historiques, comme une bonne trame narrative.
Et rien ne construit mieux une trame narrative solide et attrayante que la clarté. Des personnages bien définis, des faits tangibles et un langage concret.
Ça semble tout simple, n’est-ce pas? Que non. Concevoir des jeux aussi spécialisés en gardant en tête le novice n’arrive pas comme ça. La clarté ne se pointe pas là par hasard. Quelqu’un, quelque part, a dû la rechercher âprement.
Dans Liberty or Death, la chasse à l’indistinct et à l’abstrait est trop incessante, l’élimination de tout ce qui est anonyme et générique est trop systématique pour ne pas être intentionnelle. Et pour ne pas être fructueuse. L’histoire qui émerge s’en retrouve envahissante. Irrésistible. Incontournable.
Tout se tient. Et se retient.
En voici 5 exemples.
1. Actions différenciées
Une bonne partie du plaisir et de l’intérêt qu’offre le système COIN vient du fait que chaque faction a ses propres objectifs et, jusqu’à un certain point, ses propres règles – mais pas vraiment ses propres actions. Le Syndicat cubain est la seule faction pouvant bâtir des casinos, et le pouvoir de taxer est une spécialité Viet Cong, mais les 4 opérations de base sont demeurées les mêmes – et génériques. Même dans un modèle plus élaboré comme Fire in the Lake, les factions COIN Entraînent / Patrouillent / Ratissent / Assaillent, et les insurgés Rallient / Marchent / Attaquent / Terrorisent. Liberty or Death est le premier jeu à rompre avec le canon, pour ainsi dire. Pour s’adapter à la période, bien entendu. Mais aussi pour immédiatement donner au nouveau joueur une meilleure compréhension, une meilleure traction. Certaines opérations sont encore identiques d’une faction à l’autre, mais ont gagné un nom distinctif: les armées régulières se mobilisent (Muster), les Patriotes se rallient (Rally), et les Indiens se regroupent (Gather). Mais il y a aussi beaucoup, plus que jamais auparavant, d’actions uniques à chaque faction. Et leurs noms s’y rattachent si bien qu’il est facile de les deviner sur-le-champ: Explorer (Scout), Mettre en garnison (Garrison), Faire un raid (Raid), Incitation à la révolte (Rabble-Rousing); Cause commune (Common Cause); Partisans. Préparer la guerre; Sentier de la guerre (War Path); Roderigue Hortalez et Cie. Des noms concrets, distincts et évocateurs. Parce que les actions définissent le caractère.
2. Des Capacités personnalisées
Les capacités et momentums jusqu’ici plutôt abstraits et interchangeables (ou réversibles), qui affectent le jeu depuis l’extérieur de la carte, ont reçu un visage, un nom propre et un lieu spécifique. Ils ont été remplacés par des leaders historiques qui prennent directement part à l’action. Washington, Rochambeau ou Clinton se déplacent avec vos forces, leur prêtent leurs principales caractéristiques pour une durée variable – puisque la plupart des leaders se succèdent durant la partie. Vous ne pourrez les acquérir ni les accumuler. Ils sont moins nombreux, plus simples, mais bien définis. Oh, et il est maintenant beaucoup plus difficile d’oublier qu’ils sont en jeu.
3. Influence significative

Les jetons noirs Terror qui, en gros, rendent la population d’un espace plus difficile à influencer, ont été un des éléments s’appliquant indistinctement à toutes les factions insurgées dans chaque volume de la série. Plus maintenant. Dans Liberty or Death, ils ont été rendus plus évocateurs, de deux façons. Premièrement, Indiens et Rebelles ont maintenant chacun leur propre façon d’influencer les populations, tout comme leur propre jeton représentant cette influence. Ils n’affectent aussi que certaines factions. Deuxièmement, ces jetons viennent en 24 exemplaires. Douze portent le nom de tribus indiennes, et douze autres arborent le portrait et le nom de patriotes éminents. Le tout sans aucune autre utilité que d’apporter un peu de « saveur historique », comme le mentionnent trop modestement les règles. Parce que pour le novice du moins, noms et visages apportent plus que de la saveur. Ils apportent un lien, de l’identité, du sens. Les raids sont fait par les Cherokees, les Choctaws ou les Mohawks. La propagande est servie par Patrick Henry ou Benjamin Rush. Et les effets sont persistants dans l’espace qu’ils occupent. Ça ne vous paraît pas plus sensé, quand vous en êtes à essayer d’absorber les règles du jeu? La carte ne devient-elle pas plus facilement lisible? Même le dos de quelques jetons est mis à contribution quand il s’agit de renforcer le récit. Voilà comment pense un conteur. Et voilà comment vous, en tant que nouveau joueur, vous retrouvez davantage pris par le jeu.
4. Des Rondes de pointage thématiques

Quand j’ai commencé à jouer aux jeux COIN je n’avais pas la moindre idée de ce que pouvait représenter la ronde de Propagande. Même aujourd’hui j’ai du mal à expliquer cette ronde à des joueurs débutants en faisant appel à une quelconque réalité. Les rondes de Quartiers d’hiver de Liberty or Death, elles, s’expliquent d’elles-mêmes, et leurs multiples phases se retiennent facilement. Vous souriez d’un air entendu dès qu’elles sont mentionnées. C’est l’hiver, au XVIIIe siècle; évidemment que les hostilités s’interrompent, que les forces se regroupent, récupèrent, voient à leur ravitaillement, etc. Toutes les phases tombent en place. Et se fixent dans votre mémoire.
5. Des Événements clairs et nets
Je vais m’étendre un peu sur ce point. Parce que la sélection et la présentation des 104 événements de Liberty or Death est certainement une des caractéristiques les plus utiles et attrayantes pour les nouveaux joueurs.
On pourrait d’abord se demander pourquoi ces jeux comportent des événements? Pourquoi ne pas se contenter d’instructions écrites sur des cartes numérotées? Ça fonctionnerait quand même sans problème, non? C’est dire combien le récit est la raison d’être des cartes événements, et est au coeur même des Card Driven Games. C’est ce qui les rend historiques.
Aussi, sur le plan du jeu lui-même, bien connaître le deck et les interactions entre les cartes fera de vous un bien meilleur joueur. Mais apprivoiser un deck de plus de 100 cartes ne vas pas de soi et on a besoin de toute l’aide possible, à commencer par l’aide que peuvent nous fournir les événements eux-mêmes. Lorsque rédigés de façon claire et directe, ils peuvent même devenir de petits tutoriels.
J’ai admis ailleurs avoir eu du mal à me familiariser avec le système COIN. J’ai fait mes dents sur A Distant Plain. Évidemment, j’ai été l’auteur de la plupart de mes malheurs: je n’avais pas la moindre expérience et j’ai fait toutes les erreurs possibles. Mais après avoir essayé Liberty or Death, je me suis tout de même demandé jusqu’à quel point les événements ont pu nuire à mon apprentissage. J’ai donc décidé d’aller jeter un coup d’oeil, pas seulement au bon vieux ADP, mais aux 4 premiers volumes de la série.
Ce que j’ai découvert m’a étonné.
Un Nom qui en dit long
Temps de jouer à un petit jeu. Pour débutants COIN seulement. C’est un genre de « Pictionnaire » inversé: je vous donne quelques mots (évidemment en anglais), et vous essayez de vous les représenter par une image mentale. Si vous avez quelques notions du système COIN, essayez d’associer cette image avec n’importe laquelle des factions, ou des camps de n’importe quel jeu COIN. Tout simple. Prêt?
- AIR BRIDGE
- DEMOBILIZATION
- CHANGE IN TACTICS
- INTERNATIONAL FORCES
- DEFECTIONS
- STRATEGIC PARTNERS
- BREAKTIME
- LINE ITEM
- NIGHT RAIDS
- BORDER INCIDENT
Pas évident? Je sais. Oublions les jeux, alors. Essayez seulement de vous représenter les événements décrits par les termes suivants. Ce qui va arriver, où, et à qui.
- KILL ZONE
- SAPPERS
- FACT FINDING
- TRUCKS
- NATO
- CADRES
- FRATRICIDE
- ARMORED CARS
C’est bon. On y est presque. Maintenant, faites le même exercice avec ceci:
- GUY CARLETON AND INDIANS NEGOTIATE
- CONGRESS’ SPEECH TO THE SIX NATIONS
- GENERAL BURGOYNE CRACKS DOWN
- DE GRASSE ARRIVES WITH THE FRENCH FLEET
- COMTE D’ORVILLIERS BUILDS A FLEET AT BREST
- EDWARD HAND RAIDS INTO INDIAN COUNTRY
- WYOMING MASSACRE
- THE AFFAIR OF FIELDING AND BYLANDT
- MARQUIS DE LAFAYETTE ARRIVES IN COLONIES
- BRITISH ATTACK DANBURY
- THE NEWBURGH CONSPIRACY
- LEGEND OF NATHAN HALE
- MARTHA WASHINGTON TO VALLEY FORGE
Je n’essaie pas d’être facétieux ou sarcastique. Je regarde simplement ces titres avec l’oeil du débutant. En assumant que vous n’avez aucune connaissance préalable du sujet, voici quelques questions:
- Quels titres vous ont semblé les plus vivants? Ont résonné le plus?
- Quels événements vous ont semblé les plus immédiatement compréhensibles et, dans le contexte d’un jeu, les plus directement utilisables?
- Lesquels vous donnent le plus l’impression d’être des faits historiques que vous apprenez?
- Combien d’éléments avez-vous retenu des deux premières listes? De la troisième?
D’un côté, des titres faits d’un ou deux mots génériques, minutieusement dépouillés de tout contexte spécifique. Rien de plus que des indices renvoyant à des notions, facteurs, doctrines, développements, conjectures, etc. De l’autre, des manchettes simples et instructives décrivant des faits et personnages historiques.
Ce type de titres ressemble à des manchettes de journaux parce qu’ils ont le même but: attirer et informer. Ils ne présupposent pas que vous connaissez déjà ce dont ils vont vous parler. Parfait pour le novice.
Cependant, il n’y a rien de mauvais dans l’autre type de titres. Ils ne s’adressent simplement pas à vous en tant que débutant, voilà tout. Vous en viendrez à apprécier bien davantage ces titres avec l’expérience, en constatant leur plus grande souplesse et l’espace qu’ils laissent à la spéculation et la conjecture. Parce que lorsque peuplé par la connaissance et l’expérience, l’abstrait devient synthétique, le générique devient versatile.
Mais pour le moment vous ne souhaitez qu’apprendre le jeu.
(Sans compter que de s’appuyer principalement sur des événements spécifiques pour décrire des conflits comme la guerre en Afghanistan aurait pu signifier des centaines de cartes, et des titres truffés de noms inconnus et difficiles.)
De petites poussées

C’est tout ce que ça prend. Un événement pourrait s’intituler Thaddeus Kosciuszko (ou simplement Kosciuszko, comme on l’aurait probablement intitulé dans les premiers volumes de la série) sans attirer l’attention. Parce que ça fonctionne. Quand vous connaissez le type et ce qu’il a fait, son seul nom de famille suffit. Mais Thaddeus Kosciuszko, Expert Engineer fonctionne même quand vous ne le connaissez pas. Les deux mots ajoutés donnent une idée de son rôle et de son impact, et permettent de demeurer dans le jeu sans être interrompu par le manque de connaissance. Petit changement, grande différence.
Un langage concret aide les gens, spécialement les novices, à comprendre de nouveaux concepts. L’abstraction est le luxe de l’expert.
– Dan Heath
Un Décompte final
Encore un point. Je n’ai pas pu résister à faire un décompte brut, rien de scientifique. Seulement pour satisfaire ma curiosité. Voici le pourcentage d’événements que je considère concrets et spécifiques, dans chacun des 5 premiers volumes de la série. Pour compter comme spécifique, un événement se devait d’être à propos d’une personne dûment nommée (peu importe sa notoriété), ou d’un fait ponctuel, limité et daté (pas nécessairement sur la carte elle-même – j’ai aussi utilisé les résumés du playbook). Pas de circonstances globales, de lieux, de généralisations ou de conjectures.

- Andean Abyss: 23/72
- Cuba Libre: 28/48
- A Distant Plain: 10/72
- Fire in the Lake: 48/130
- Liberty or Death: 87/104
Goûtez-y
Je crois que Liberty or Death fait l’impossible pour intéresser les nouveaux joueurs. C’est un objectif élevé et exigeant, et qu’il atteint brillamment.
Sa grande clarté ne fera pas qu’aider les nouveaux joueurs mais, encore mieux, pourra convertir des passants en nouveaux joueurs.
Donc, si on me permet de reprendre partiellement mon coup, je dirais maintenant que Liberty or Death pourrait être votre entrée la plus captivante et mémorable dans la série COIN, ou dans les jeux historiques en général.
Qu’est-ce qui vous aide le plus à apprendre un nouveau jeu historique? Des règles plus simples, ou un récit plus présent?
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