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Pour un jeu qui chante

12/09/2019 | Paul Dussault

Quand j’étais petit, un des plus sûrs moyens de me faire déguerpir, de me faire courir me mettre à l’abri sous un meuble, les paumes plaquées sur les oreilles, était de faire jouer de l’opéra. Ce déploiement torrentiel d’outrance sonore, jusque-là sans équivalent dans mon petit monde, me laissait chaque fois stupéfait, désemparé.

Avec les années ma terreur initiale s’est mutée en mépris, puis, finalement, en ennui; un ennui profond et apparemment irrémédiable.

C’est que la musique, les voix, les intrigues, les costumes, les maquillages, la durée – tout, dans l’opéra, est excessif. Ce genre carbure à l’exagération, au superlatif.

Pourquoi? J’ai ma petite idée là-dessus.

Au cœur de l’opéra, tout comme de ses pendants plus modernes comme la comédie musicale, on retrouve l’ambition d’être une espèce d’art total, le spectacle ultime, un alliage sublime de musique, poésie, danse, art dramatique et intrigue.

Le prix de cette ambition est que chacune des composantes de l’opéra doit être au service des autres; aucune ne peut s’épanouir en elle-même et pour elle-même.

La musique est cantonnée dans un rôle de soutien, à une fonction explicative; elle vient en appui au récit, en ponctuant, enjolivant, surlignant ses moments forts et ses personnages clés, à l’aide de motifs et refrains aussi convenus que reconnaissables. Mais voilà que le récit ne peut lui non plus progresser à un rythme normal et naturel; il faut pouvoir contracter, dilater, interrompre l’intrigue à volonté, au gré des précieux numéros de chant, de danse, et autres garnitures qui font le bonheur des amateurs.

Pour moi, le principal spectacle de l’opéra est d’y voir ces deux grandes forces, musique et récit, s’entre-dénaturer.

Et c’est parce qu’il est incapable de laisser sa musique, ses personnages ou son intrigue se développer, que l’opéra est obligé de tant les grossir. Qu’il est condamné à l’excès perpétuel, à l’enflure, à l’effet.

À la caricature.

Les jeux narratifs – ou les histoires interactives, selon le point de vue – me font un peu la même impression que l’opéra, et pour les mêmes raisons. On dirait qu’ils ont la même ambition, d’être cette espèce d’alliage sacré de deux grandes forces ancestrales. Mi-jeux, mi-récits, mais jamais tout-à-fait l’un ou l’autre, ils tentent de compenser les mêmes inévitables insuffisances à l’aide du même excès, du même clinquant. Chaque fois que je me suis attablé devant un jeu narratif, j’ai retrouvé un jeu scripté, domestiqué, taillé sur mesure selon les besoins d’une intrigue effilochée, bousculée par les ruades des mécaniques ludiques.

Ces jeux ne me poussent peut-être pas à trouver refuge sous les meubles – quoique parfois l’envie m’en prenne – mais me procurent le même ennui (à l’échelle – c’est tout de même un peu moins bruyant).

C’est parce que j’aime les jeux et que j’aime les récits que je les préfère sans concessions.

Classé sous: Marginalia

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