Votre chronique de juillet mentionne la tessellation en hexagones comme étant « familière aux abeilles et aux utilisateurs de salles de bain ». Peut-être n’êtes-vous pas au courant d’un autre usage très répandu de cette tessellation, celui de compartimenter les cartes géographiques de jeux, spécialement ceux qu’on appelle jeux de guerre, ou simulations militaire.John E. Koontz
Déjà entendu parler de l’hept, ou de l’hendec?
Moi non plus.
Alors pourquoi l’hexagone semble être la seule figure géométrique à s’être mérité un surnom?
L’hex est devenu une figure familière, parce que très utile et largement utilisée – en science, en architecture, en design… et dans les jeux. Et pour de bonnes raisons.
Pas besoin de creuser dans les profondeurs de votre ludothèque pour trouver des hexagones. Les tuiles hexagonales, et les nombreuses options qu’offrent leurs six côtés, sont une chose que Catane, Keyflower, Suburbia, Eclipse, Mage Knight, Archipelago, Dominant Species, Hive ont en commun. Les hexagones font tant partie de jeux à l’européenne, à l’américaine, ou abstraits qu’on a tendance à oublier leur présence.
C’est encore plus vrai pour les jeux de guerre. L’hexagone est devenu un élément-clé des mécanismes de la plupart des simulations de conflit, au point de faire maintenant partie de leur identité. Le mouvement, l’orientation, le rayon d’action ou la ligne de mire se calculent à partir de grilles d’hexagones qui tapissent des cartes géographiques en tout genre, peu importe l’échelle.
Pourquoi l’hexagone?
Deux propriétés de l’hexagone intéressent particulièrement les concepteurs de jeux. Il élimine les distorsions diagonales qu’on retrouve dans les grilles de cases carrées, et garantit des distances égales dans toutes les directions, ce qui est plutôt crucial pour des simulations précises. Et bien sûr une mosaïque d’hexagones peut recouvrir un plan sans chevauchement ni intervalle. Mais je n’avais pas réalisé que, parmi les quelques figures régulières capables de s’emboîter parfaitement, l’hexagone est celle ayant le plus grand nombre de côtés. Ce qui veut dire que la grille d’hexagones est la manière la plus fine, égale et flexible de présenter un terrain. Voilà.

Quand les experts s’amusent
Il semble que d’étendre une grille d’hexagones sur un plateau de jeu commercial ait été une autre des idées originales de Charles S. Roberts. Après tout, il est celui qui a introduit les tables de résolution de combat, conçu le premier jeu de guerre moderne sur plateau, et fondé Avalon Hill, pionnière de l’édition de jeux de guerre. L’inspiration lui serait venue des photos accompagnant un article paru dans le magazine Life de 1959.
Cet article parlait de la RAND Corporation (pour Research ANd Development), un organisme américain sans but lucratif, fondé en 1945, dont la mission est de mettre à la disposition des décideurs politiques la recherche de pointe et une expertise de haut niveau scientifique. Or au début des années 1960, en pleine Guerre froide, la RAND développait plusieurs simulations militaires, sous forme de d’imposants « jeux » de guerre (il y a d’ailleurs encore un Center for Gaming là-bas), sur des cartes divisées en hexagones.
C’est donc en 1961 que Roberts a décidé d’utiliser, dans la deuxième édition de son Gettysburg, une grille d’hexagones comme celles sur lesquelles il avait vu se pencher les experts de la RAND.

Cette deuxième édition de Gettysburg a été un flop commercial. Au point où l’édition suivante est revenue à une division en carrés – mais la grille d’hexagones était là pour rester. La plupart des jeux de guerre publiés après Gettysburg, chez Avalon Hill ou ailleurs, ont adopté l’hexagone, tout comme, quelques années plus tard, la plupart des jeux stratégiques et tactiques sur ordinateur.
Hex ou carré?
Est-ce que la grille d’hexagones est une évolution qui surpasse la grille de carrés?

Pour les jeux en général, ça dépend du propos: les carrés ont encore la cote dans beaucoup de jeux, et pas seulement dans des jeux simples comme Carcassonne ou Kingdomino. Hormis les échecs, des brise-neurones comme The Great Zimbabwe ou Food Chain Magnate, par Splotter Games, font un usage exemplaire des grilles de carrés et sont pourtant d’une complexité indéniable.
Pour les jeux de guerre, par contre, l’hexagone l’emporte haut la main sur le carré, d’abord parce qu’il aide à rendre les simulations réalistes et jouables. Mais aussi, le système hexagonal (Hex and Counters – Pions et hexagones) est devenu un mécanisme standard – près de 7000 titres sur BoardGameGeek, sans compter un grand nombre de jeux d’ordinateur – que joueurs et concepteurs peuvent utiliser comme point de départ familier pour explorer n’importe quel sujet, à n’importe quelle époque.
Mais surtout, dès qu’on voit un plateau de jeu fait de tuiles hexagonales, ou recouvert d’une grille d’hexagones, ou encore des hexagones dans le logo d’un éditeur, d’un magazine ou d’un site Web, on sait tout de suite de quoi il s’agit. L’hex est devenu le synonyme par excellence de jeu de guerre, de jeu historique, de stratégie.
À visiter
- Géométrie de l’hexagone
- Jeux de guerre avec grille de carrés
- Algorithme de pathfinding sur grille d’hexagones, par Chris Katila
- Générateur de grilles d’hexagones
Références
Ngram de hexagone et hex.
Qu’est-ce qu’un Ngram?
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