À bien y penser, il n’est pas rare que des jeux aient au moins quelques règles qui en modifient d’autres. Par exemple, des règles qui varient selon la phase de jeu, le nombre de joueurs, la faction ou le scénario choisis, etc. Elles sont souvent appelées règles variables, adaptables ou personnalisables. Surtout, elles sont ordinairement modifiées une fois pour toutes durant une phase précise de la partie, par exemple la mise en place, et visent à créer de la variété – 504 (2015), de Friedemann Friese, vient tout de suite à l’esprit. C’est ce qui les distinguent des règles mouvantes, ou automodifiables qui, elles, peuvent être modifiées tout au long de la partie, au même titre que n’importe quel autre paramètre du jeu.
Tout comme les programmes informatiques capables de modifier leur propre code, les jeux aux règles mouvantes n’ont que quelques règles maîtresses (méta-règles) selon lesquelles toutes les autres règles pourront être modifiées, par les joueurs, sous diverses conditions, dans diverses circonstances, habituellement en cours de partie et de façon assez arbitraire ou du moins imprévisible. Ce qui donne lieu à des parties animées, déroutantes, voire chaotiques, plus intéressantes pour la surprise constante, les réactions, les négociations, que pour le développement de stratégies ou d’habiletés.
Des systèmes de règles mouvantes à un plus ou moins grand degré sont souvent des trouvailles, comme le démontrent des jeux comme Fluxx (A et K. Looney, 1997) et Cosmic Encounter (Peter Olotka,1977, 2008), qui sont des représentants commerciaux à succès de ce type de règles.
Mais il existe des jeux plus obscurs et expérimentaux qui poussent l’idée encore plus loin, comme Nomic (1982), une invention du philosophe américain Peter Suber dans son livre The Paradox of Self-Amendment.
Dans Nomic, les joueurs proposent des changements aux règles, débatent de leurs mérites, votent, puis décident entièrement de ce qui va se passer par la suite. C’est là l’essentiel du jeu, qui peut, bien entendu, être modifié. Nomic est une démonstration, une réflexion sur le Droit plutôt qu’un jeu. La question de savoir si c’est un bon jeu est secondaire.
Et encore à bien y penser, ce qu’on appelle une règle automodifiable est un paradoxe, une illusion. C’est pourquoi certains s’opposent à l’emploi de ce terme. Parce que si c’est modifiable à tout vent en cours de partie, instable et imprévisible, ce n’est pas une règle. Plutôt une astuce.
Chaque jeu peut être divisé en deux éléments: un élément fixe, les règles, et un ensemble d’éléments modifiables, les paramètres, plus ou moins nombreux, qui changent constamment durant la partie. Les règles modifient constamment les paramètres, comme l’argent disponible, la valeur des territoires, l’ordre des joueurs, voire la longueur de la partie elle-même. Et ce sont les règles qui déterminent quand, de quelle façon et dans quelle mesure ces paramètres changent. Ça constitue en fait les mécaniques du jeu.
Or dans le cas des règles mouvantes, l’illusion provient du déplacement de la démarcation entre ce qui est une règle et ce qui est un paramètre. Le concepteur a pris plusieurs règles du jeu, et décidé qu’elles seraient en fait des paramètres (donc modifiables par d’autres règles), tout en continuant de les appeler des règles. Et voilà.
Mais même les jeux à règles automodifiables les plus chaotiques ont – et doivent avoir – des règles statiques. Par exemple, si chaque carte jouée dans une partie de Fluxx peut entraîner un tel chaos en chamboulant les règles au fur et à mesure, c’est parce qu’au moins une règle de base nous dit qu’on doit exécuter ce qui est écrit sur chaque carte.
Des jeux comme Nomic sont là pour soulever des questions: jusqu’où peut-on aller dans la conversion de règles en paramètres? Quel est le nombre minimal de règles que peut avoir un jeu pour continuer d’être un jeu? Quelle est la valeur des règles?
Pas étonnant qu’on utilise l’épithète « mouvant »; parce qu’on risque bien de s’enfoncer dans de telles questions comme dans des sables mouvants.
Références et autres ressources
- Nomic, un jeu auto-modificateur fondé sur la réflexivité du droit
- Code automodifiable, sur Wikipedia
- Fluxx, sur Boardgamegeek
- 504, sur Boardgamegeek
- Proteus, sur Boardgamegeek
- Nomic, sur Boardgamegeek
- Cosmic Encounter, sur Boardgamegeek
- Nomic, sur TricTrac
- Mouvant, dans le Wiktionnaire
- Règles mouvantes, sur Boardgamegeek
- Peter Suber, sur Wikipedia
Ngram de Mouvant.
Qu’est-ce qu’un Ngram?
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